L’historienne Laure Hillerin a donné le 7 mai dernier, au syndicat viticole, une conférence sur la duchesse de Berry suivie d’une dédicace de son livre "La duchesse de Berry l’oiseau rebelle des Bourbons", paru aux éditions Flammarion.
Licenciée de lettres modernes, Laure Hillerin voue une véritable passion aux mots qu’elle manie avec précision et élégance.
Auteur de plusieurs ouvrages à succès (ce livre est son septième) elle dresse un portrait inédit de la célèbre prisonnière qui occupa le pavillon de la Place du 15 novembre 1832 au 8 juin 1833.
Avec cet ouvrage historique, elle nous livre également une part d’elle-même : en effet, toute son enfance fut bercée par les discussions passionnées de sa mère et de son entourage sur la fameuse duchesse.
C’est enfin en exploitant ses archives familiales inédites que Laure Hillerin nous révèlent toute la modernité de cette femme hors du commun.
A tous ceux qui sont intéressés par la destinée tragique de la duchesse de Berry, nous ne pouvons que conseiller de visiter le site internet que Laure Hillerin a réalisé http://www.duchessedeberry.fr/ qui vous donnera un avant-goût de ce beau livre d’histoire.
Enfin, pour vous faire une idée sur sur la teneur de cet ouvrage, voilà un extrait de la conférence sur celle qui, emprisonnée par son cousin Louis-Philippe après l’échec du soulèvement vendéen, connut 205 jours de captivité dans notre citadelle, marquant ainsi l’histoire de Blaye et la mémoire collective de ses habitants.
INTRODUCTION
Marie-Caroline de Bourbon-Sicile, duchesse de Berry, fut sans doute, durant les quinze années qu’elle vécut en France, la femme la plus populaire et la plus médiatique du pays. Sa notoriété s’est prolongée jusqu’au début du XXème siècle. Et puis, elle est totalement tombée dans l’oubli. Marie-Caroline est mal connue. Elle a été très mal traitée par les historiens, car elle a toujours été jugée à l’aune des passions politiques. Ses premiers biographes, qui étaient en réalité des hagiographes, ont voulu en faire une image de vitrail. Et puis le temps passant, elle a été carrément reléguée dans la "banlieue de l’Histoire". Parce qu’elle était l’icône du parti légitimiste et la mère du comte de Chambord, on l’a classée au rang des réactionnaires qui ont raté le train de l’Histoire. On l’a décrite comme une aventurière exaltée et irresponsable, une "quantité négligeable".
Or, elle n’était rien de tout cela. C’était en réalité une femme étonnamment moderne. Toute sa vie, elle a nargué l’ordre établi. Elle n’a jamais cessé de se battre : d’abord pour conquérir sa propre liberté, ensuite pour remettre son fils sur le trône ; enfin, pour avoir le droit de jouer son rôle de mère auprès de ses enfants ; et aussi, toute sa vie, pour pouvoir donner libre cours à sa grande générosité, sans en avoir toujours les moyens. C’est pourquoi j’ai intitulé mon livre "l’Oiseau rebelle des Bourbons".
LA DUCHESSE DE BERRY A BLAYE
Il fait nuit noire et la pluie tombe à torrents lorsque Madame débarque, le soir du 15 novembre 1832, au pied de la citadelle de Blaye. Elle revoit sans doute cette journée triomphale, qu’elle a vécu quatre ans plus tôt, au même endroit, le 13 juillet 1828, alors qu’elle descendait de ce même navire à vapeur, le Bordelais. Elle avait été reçue en grande pompe.
Mais aujourd’hui, le scénario est bien différent : elle franchit le môle dans un profond silence, passe à pied le guichet et le pont-levis, entre une double rangée de soldats, au milieu d’une foule de curieux, en compagnie de son fidèle Mesnard et de Stylite de Kersabiec. La porte de la citadelle s’est refermée. La voilà captive, pour de bon.
Le colonel Chousserie : un geôlier très courtois.
Caroline est logée dans la maison du commandant de place Debord. On a scellé de solides barreaux de fer à toutes les fenêtres du premier étage et jusqu’en haut des cheminées. Les fenêtres des chambres sont obstruées pour interdire la vue sur les remparts. On a même été jusqu’à faire enlever le conducteur du paratonnerre de la citadelle qui plonge dans les eaux du fleuve... Dans l’estuaire, une vedette, la Capricieuse, empêche toutes les embarcations de s’approcher du rivage. La garnison de la forteresse se compose de 700 hommes en temps de paix. La maison est surveillée en permanence par 24 soldats. Un officier veille dans l’antichambre. Les sentinelles se relaient toutes les heures. Les prisonniers ont interdiction d’ouvrir leurs fenêtres pendant la nuit.
Cependant, le premier "geôlier en chef", le colonel Chousserie, est fort courtois. Ce vieil officier de gendarmerie est sous le charme de sa captive, et fait tout pour adoucir sa réclusion. Son officier d’ordonnance, le lieutenant Petitpierre, devient rapidement son factotum. Il lui apporte les journaux ; il fait à l’occasion office de sacristain pour servir la messe. Il lui arrive même de préparer le bain de Madame. Il nous a laissé un Journal très intéressant. [1]
Comme partout où elle passe, la duchesse a reconstitué une petite cour autour d’elle. Elle a pour compagnie les gens de sa suite : le fidèle Ménard et Stylite doivent bientôt partir pour passer en jugement. Ils sont remplacés par Mme de Hautefort et le comte Emmanuel de Brissac qui ne sont pas très distrayants. En revanche, la chère est excellente. Marie-Caroline a pour se distraire un piano, et quantité de livres envoyés par ses admirateurs. Elle a même pour lui tenir compagnie un petit chien et deux perruches. Mais elle est prisonnière, et elle s’ennuie à mourir.
Elle écrit au ministre de l’intérieur : "J’ai un bon lit et un bon dîner. Mais cela ne suffit pas. Il me faut un peu plus de liberté, et le moyen de correspondre avec mes amis.". En effet, toute sa correspondance est lue, et passée aux réactifs chimiques pour y détecter l’encre sympathique. Les lettres de ses admirateurs lui parviennent bariolées de toutes les couleurs. Car elle reçoit d’innombrables lettres. Jamais sa popularité n’a été aussi grande. Les gentilshommes se proposent en otage pour venir la remplacer. Les dames de la Halle demandent à la servir à tour de rôle. Le journal La Mode se lamente sur son sort :
"Et maintenant, cet hiver, qu’adviendra-t-il de nos bals, de nos joies, de nos fêtes accoutumées ? [...] Tandis que l’on dansera aux Tuileries, elle la prisonnière, la maîtresse autrefois de cette même demeure [...], elle n’entendra que le bruit des flots qui bat le pied de la tour, et la patrouille qui se promène autour des remparts. "…
À la fin de l’année, Chateaubriand publie son célèbre et magnifique Mémoire sur la captivité de Madame la duchesse de Berry.
Le général Bugeaud et le docteur Ménière.
À Blaye cependant, le colonel Chousserie a été remplacé par un geôlier plus musclé : le général Bugeaud, qui deviendra plus tard le pacificateur de l’Algérie. Sa mission n’est pas seulement de surveiller la duchesse. Il est chargé de lui faire avouer ce que l’on soupçonne déjà : sa grossesse. Depuis quelques mois, la rumeur circule dans Paris, selon l’aimable euphémisme du baron Viennet "que Mme la duchesse de Berry était femme et qu’elle avait été faible".
Peu après Bugeaud, un nouvel acteur entre en scène à Blaye : c’est le docteur Ménière, un médecin envoyé de Paris par le gouvernement pour soigner la duchesse. Très vite, il sympathisa avec sa royale patiente. Le Journal très amusant qu’il nous a laissé, et dont je vous recommande la lecture, retrace un tableau extraordinairement vivant de la vie à la citadelle. [2]
Dehors, le temps froid et noir, la pluie, le vent, le brouillard d’un hiver qui n’en finit pas, le vacarme martial de la garnison qui retentit nuit et jour.
À l’intérieur, la pièce se déroule sur deux scènes bien distinctes. D’un côté, l’appartement des captifs. La duchesse de Berry est le plus souvent au lit, maigre, fiévreuse, toussant à fendre l’âme. Du côté des geôliers, la vie est beaucoup plus gaie. Bugeaud passe beaucoup de temps à table avec ses officiers, dont le célèbre lieutenant de Saint-Arnaud, qui organisera plus tard le coup d’état de Napoléon III. On chante, on disserte sur l’art militaire, on commente la presse avec passion, et on déguste les mets les plus succulents, envoyés par les admirateurs de la duchesse.
Le docteur Ménière nous dresse un portrait assez sympathique de Bugeaud, qui devient vite "l’ennemi intime" de Caroline. Ils sont tous les deux d’humeur très belliqueuse et ils prennent plaisir à des disputes véritablement homériques.
Une grossesse scandaleuse.
Toute la citadelle a les yeux fixés sur le ventre de la duchesse, qui s’arrondit de manière inquiétante. Des médecins sont envoyés de Paris. Le rapport secret qu’ils écrivent début février ne laisse aucun doute.
Aussitôt, c’est le branle-bas de combat. On met en place un dispositif d’espionnage très sophistiqué. Des sortes d’entonnoirs acoustiques sont placés près des conduits de cheminée pour écouter les conversations. Sous la chambre de la duchesse, un espion perché sur une échelle colle son oreille au plafond pour écouter ses moindres soupirs. On va jusqu’à murer les lieux d’aisance et à les remplacer par une chaise percée, pour éviter que Marie-Caroline n’accouche en secret et fasse disparaître son enfant. : on la croit vraiment capable de tout ! Ce dispositif a été découvert et écrit en détail par le docteur Deneux, l’accoucheur de Madame, arrivé en mars à la citadelle. Il nous a laissé un Journal manuscrit, très intéressant, conservé à la bibliothèque de l’Académie de médecine de Paris. [3]
Le 22 février 1833, la duchesse se décide enfin à publier une déclaration officielle disant qu’elle a été mariée secrètement pendant son séjour en Italie. Elle ne dévoile pas le nom de son mari et ne dit pas un mot de sa grossesse. Mais la nouvelle éclate comme une bombe. Tout le monde comprend ce que cela signifie. C’est une douche froide pour ses partisans. Et une excellente nouvelle pour Louis-Philippe. J’ai trouvé dans des archives inédites une foule de lettres qui montrent le désespoir de ses amis à cette nouvelle. L’échec de son entreprise vendéenne sera ainsi aggravé par la faute, inexcusable aux yeux de ses contemporains.
L’honneur sauvé in extremis.
La duchesse de Berry est décidément vouée aux accouchements publics. Elle donnera naissance le 10 mai 1833, à une petite fille, Anne Marie Rosalie. À peine accouchée la jeune mère tirera de dessous son traversin un petit papier, qui permettra au docteur Deneux de faire une déclaration en bonne et due forme :
"Je déclare que Son Altesse royale Marie-Caroline, Madame, duchesse de Berry, épouse en légitime mariage du comte Hector Lucchesi-Palli, des princes de Campo-Franco, gentilhomme de la chambre du roi des Deux- Siciles, domicilié à Palerme (Sicile), ledit comte absent, est accouchée, le 10 mai 1833, à trois heures vingt du matin, d’un enfant de sexe féminin. Les prénoms de l’enfant sont Anne-Marie Rosalie."
Cette révélation in extremis provoque la stupéfaction des témoins. Louis-Philippe espérait couvrir de honte la duchesse de Berry. Mais elle est une femme de ressources. Elle s’est débrouillée pour correspondre en secret avec l’extérieur, au nez et à la barbe de ses geôliers. Tout simplement, avec l’aide du curé de Blaye, l’abbé Descrambes, qui venait dire la messe toutes les semaines. Le courrier circulait grâce à un dispositif astucieux de deux scapulaires jumeaux. Le premier contenait le courrier entrant. Il était escamoté est remplacé par le second, qui remportait le courrier sortant.
Elle a ainsi pu arranger un soi-disant mariage secret, et trouver un père pour son enfant. L’honneur est sauf.
Sur cet épisode de la captivité à Blaye, les archives nationales recèlent des cartons entiers de correspondance échangée entre la citadelle et le ministère de l’intérieur. À travers ces documents, nous touchons du doigt une vérité longtemps occultée : cette petite femme, que l’Histoire a méprisé et un peu facilement jeté aux oubliettes, a en réalité fait trembler pendant de longs mois Louis-Philippe et son gouvernement. À tel point qu’on n’osera pas la faire passer en jugement : on préférera la renvoyer à Palerme, sous la conduite du général Bugeaud et du docteur Ménière.
CONCLUSION
Je ne vais pas revenir sur l’épineuse question de ce prétendu mariage secret, et de la paternité de l’enfant de Blaye, qui a fait couler beaucoup d’encre. Je l’ai éclairée d’un jour nouveau dans mon livre, grâce à des découvertes faites dans des archives inédites.
Une chose et certaine : l’union de Marie-Caroline et d’Hector sera très heureuse. Ensemble, ils mèneront un dernier combat : obtenir que la duchesse de Berry ait voix au chapitre dans l’éducation de ses enfants, élevés à Prague par leur grand-père Charles X. Mais Marie-Caroline va perdre cette bataille…. Elle retrouvera bien ses enfants lorsqu’ils seront devenus adultes, mais trop tard pour avoir une influence sur le destin politique de son fils. Mue par un profond désir d’apaisement, elle consacrera ses dernières années à sa nombreuse famille "recomposée", entre Brunsee en Styrie et Venise, où elle a acquis le palais Vendramin.
À la fin de sa vie, Caroline est devenue presque aveugle, elle se déplace difficilement. Mais elle restera toujours pugnace, jusqu’à son dernier souffle. Peu de temps avant sa mort, elle écrit ainsi à Suzette de La Tour, ma trisaïeule :
"Vous me prêchez la patience et la résignation ; patience, passe, mais résignation, vous savez bien que pour moi c’est impossible... " Et elle signe : Carolina Vecchia.
Elle mourra le 16 avril 1870, quelques mois avant la capitulation de Sedan et la chute du Second Empire.
L’oiseau rebelle s’est échappé à temps pour ne pas voir son fils, trois ans plus tard, refuser cette couronne pour laquelle elle avait tant souffert.
[1] Petitpierre (lieutenant Ferdinand), Journal de la captivité de la duchesse de Berry à Blaye, Paris, Emile-Paul Frères, 1904.
[2] MENIERE (Prosper, docteur), Journal de la captivité de Mme la duchesse de Berry à Blaye.Paris, Calman-Levy, 1882
[3] DENEUX (Louis-Charles, docteur), Journal de la détention de S.A.R. Madame la duchesse de Berry à la citadelle de Blaye (1832-1833)