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Le bombardement de Royan (nuit du 4 au 5 janvier 1945).

Le samedi 7 juillet 2012, dans la salle de réunion de la Maison du Vin, aimablement prêtée une nouvelle fois par le Syndicat viticole des "Blaye Côtes de Bordeaux", les adhérents de la SAVB qui n’étaient pas encore en vacances ont eu la chance d’assister à une conférence d’une qualité exceptionnelle ayant trait au bombardement de Royan effectué dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945.

Émaillant son récit d’une multitude d’anecdotes, maniant l’humour avec finesse, le conférencier fut incontestablement brillant, pour le plus grand plaisir de son auditoire.

En outre, Jacques Vernet, car c’est de lui dont il s’agit, sait de quoi il parle : docteur en histoire militaire, ayant exercé d’importantes responsabilités au sein du Service Historique de la Défense, colonel (ER), spécialiste de l’histoire de l’armée française entre 1943 et 1946, il s’est rapproché, pour ce travail de recherche sur le bombardement de Royan, d’un autre expert reconnu comme tel, Patrick Facon, membre de l’Académie nationale de l’air et de l’espace à Toulouse.

Préparée à partir des archives du Service Historique de l’Armée de l’Air, de mémoires (dont celles du général de Gaulle et du général de Larminat), d’ouvrages excellents, comme celui de Messieurs Genet et Bellanger, des carnets du pasteur Besançon, cette conférence a apporté une réponse claire à un sujet dont le traitement, notamment sur Internet, est le plus souvent parcellaire, parfois orienté et quelquefois même totalement farfelu.

Le résumé ci-après est mis en ligne avec l’aimable autorisation de Jacques Vernet. Une version complète de cette conférence est disponible chez l’auteur. Ceux qui souhaiteraient en acquérir un exemplaire sont priés de contacter la SAVB.

Parmi les évènements dramatiques qui ont marqué la libération du Sud-Ouest, le bombardement de la ville de Royan, dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945, suscite souvent des commentaires acerbes sur le commandement militaire, allié comme français, ainsi que sur les exécutants anglo-saxons de la Royal Air Force (RAF).

Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer les plans des agglomérations de la région : l’on trouve partout une avenue du Général De Gaulle, parfois une avenue du Général Leclerc, autant d’avenues du Général De Lattre, mais aucune du général de Larminat.

Pourtant c’est lui qui a commandé le front des poches de l’Atlantique, d’octobre 1944 à mai 1945, menant, avec peu de moyens, un combat difficile contre un ennemi solidement retranché dans des positions préparées à l’avance.

Le but du conférencier n’était pas de rendre justice à quiconque, mais d’essayer d’y voir clair dans une affaire qui suscite encore trop souvent des jugements définitifs, appuyés davantage sur des convictions que sur des faits.

1. Les faits.

Le Lancaster
De conception britannique, le bombardier Avro Lancaster a été la bête de somme de la RAF.

Dans la nuit du 4 au 5 janvier 1945, vers minuit, à partir de dix-huit bases situées dans le Lincolnshire (deux cents km au Nord de Londres) 228 bombardiers "Lancaster" décollent, se regroupent et s’enfoncent dans la nuit en direction du Sud, suivis une heure et demie plus tard, par une deuxième vague de 126 appareils [1]. Chargés de bombes explosives et incendiaires, précédés par des "Mosquitos" qui vont éclairer la cible [2], ils se dirigent vers Royan, l’une des deux poches allemandes qui bloquent l’embouchure de la Gironde, rendant inutilisable le port de Bordeaux libéré fin août. La première vague pique droit sur Civray, puis vire à l’Ouest en passant au-dessus de Cognac et va livrer son chargement sur Royan endormi, entre 4h00 et 4h15 du matin. La seconde vague, qui s’est repérée sur Tours, se présente à 5h30 sur la ville déjà ruinée et en flamme dans laquelle on s’affaire pour secourir les victimes, largue ses bombes, revient sur Cognac puis se dirige directement vers l’Angleterre, comme la première vague l’a fait auparavant.

Le Mosquito
C’était l’un des avions utilisé par les Pathfinders

La DCA allemande a probablement abattu quatre appareils anglais, deux autres "Lancaster" se sont heurtés en vol au retour, au-dessus de Cognac et si les pertes anglaises sont relativement légères, les victimes au sol sont dramatiquement nombreuses. Sur les quelques 2 000 civils restés à Royan, on compte 442 tués, hommes, femmes et enfants et plusieurs centaines de blessés [3]. La ville est détruite à 80 % et, paradoxalement, les objectifs militaires sont pratiquement intacts. Les Allemands ont perdu 47 hommes, dont 23 non identifiés. L’amiral Michahelles qui commande la poche depuis novembre 44 en fait d’ailleurs la remarque ironique au commandant Meyer, son interlocuteur français dans les contacts quasi ininterrompus qui se sont établis entre les deux hommes…

Devant un tel désastre, Français et Allemands joignent leurs efforts pour dégager les morts et secourir les blessés, pour organiser le quotidien des survivants en attendant que, courant janvier, la population restante à Royan soit évacuée de la poche.

On notera qu’il y eut de nombreux réfractaires à cette évacuation qui durent encore subir les combats d’avril 1945, quand l’opération "Vénérable" consacra la libération de la poche [4].

2. Pourquoi bombarder Royan ?

Lors de la libération du territoire français, entamée sur les plages de Normandie, l’objectif général des forces alliées est de marcher sur l’Allemagne, pour en détruire les armées et abattre le régime national-socialiste.

Situation du front Ouest à l’automne 44.
Toutes les forces alliées convergent vers l’Allemagne. (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Après deux mois de combats féroces en Normandie, la défense allemande s’effondre et la whermacht se replie sur le Rhin. Certaines formations postées le long de l’Atlantique se trouvent bloquées dans une série de poches établies autour des ports utiles à la Kriegsmarine pour récupérer et ravitailler ses sous-marins. Du même coup, ces forces interdisent l’accès à des infrastructures portuaires qui auraient grandement facilité la manutention de la logistique en provenance des États-Unis. C’est ainsi que ce sont formées les poches de Lorient, de St Nazaire (qui bloque Nantes), de la Pallice-La Rochelle et Royan-La pointe de Grave qui interdit l’accès de la Gironde.

Les poches de l’Atlantique.
Près de 100 000 hommes ayant reçu comme mission de se battre jusqu’à la fin.

Le dos à la mer, se sachant enfermées jusqu’à la fin des hostilités, les garnisons allemandes, composées de quelques troupes la Whermacht, mais surtout d’unités de la Flak [5], appartenant à la Luftwaffe, et d’équipages de la Kriegsmarine regroupées en bataillon de marche, n’ont qu’à faire face aux attaques alliées et à survivre le plus longtemps possible, comme le leur a ordonné Hitler en août 1944.

Soldat des FFI.
L’équipement est dramatiquement pauvre comme le montre ce soldat en progression sans gants et en sabots sur l’eau gelée d’un marais...

Pour bloquer les Allemands, le commandement utilise les seules troupes disponibles, à savoir les formations issues des Forces Françaises de L’Intérieur (FFI), renforcées par quelques unités américaines, essentiellement d’artillerie. Ces troupes, mal équipées, sont commandées par des officiers issus de la Résistance, auto-promus et sans expérience des conditions de la guerre classique, surtout sur un front statique comme l’est celui du blocus des poches allemandes.
A cela s’ajoutent l’ambiance équivoque de la libération, les rivalités internes, l’épuration des cadres et des structures de l’ex-État français, l’approche d’un hiver rigoureux, la crise du ravitaillement, pour les combattants, comme pour la population.

2.1 Montage de l’opération "Indépendance".

Le principe de l’opération, baptisée "Indépendance" pour bien exprimer la volonté d’en faire une opération française menée avec des moyens français, même si ceux-ci sont réduits et disparates, est acquis après la visite du général de Gaulle à Saintes, le 18 septembre 44. Il est évident que le gouvernement provisoire de la République (en fait le général de Gaulle), tient à marquer l’engagement du pays dans sa propre libération et à affermir aussi un peu plus sa légitimité auprès des Alliés, américains notamment [Le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF) ne sera reconnu comme tel par les grandes puissances (Royaume-Uni, États-Unis, URSS, Canada) que le 23 octobre 1944.].

Dès le 21, il réclame au SHAEF (Supreme Headquarters Allied Expeditionary Force - commandement en chef des forces alliées en Europe) du général Eisenhower, le détachement temporaire de la 1ère division blindée (1ère DB) et de la 1ère division française libre (1ère DFL) pour renforcer les Forces Françaises de l’Ouest (FFO) dont il vient de confier le commandement au général de Larminat. La mission de ces forces était de réduire les poches afin de permettre la libre utilisation des ports et notamment de celui de Bordeaux.

Le général de Larminat, après avoir songé rester à Paris, à l’hôtel Continental, installe son état-major à Cognac, prenant lui-même ses quartiers au Château Bagnolet, propriété de la famille Henessy.

A partir du 22 octobre 1944, les FFO sont considérées comme activées.
Le 8 novembre, une offensive générale est lancée dans le Nord-Est de la France contre le front allemand. De la mer du Nord à la Suisse, les groupes d’armées du SHAEF se mettent en marche les uns après les autres : Belfort est repris le 21, Metz le 22, Strasbourg le 23, le Rhin est également atteint à Huningue (à la frontière Suisse, en face de Bâle) le 30 novembre. Cette réussite est mise à profit pour marquer un temps d’arrêt nécessité par le regroupement des forces, la remise à niveau des matériels et des munitions, mais aussi par une météo abominable…
Le moment est donc favorable pour détacher des grandes unités pour le front de l’Atlantique où les choses n’évoluent guère.

La 1ère DB se trouvant prise dans une bataille confuse à l’ouest de Mulhouse, seule la 1ère DFL est disponible [6], c’est donc elle qui fait mouvement entre le 11 et le 18 décembre pour rejoindre la région de Jonzac.

La préparation de l’opération Indépendance est déjà entamée et parmi les réunions de travail, celle du 10 décembre a une importance particulière. En effet, ce jour-là au PC du général de Larminat se sont rencontrés les deux responsables de l’emploi des moyens aériens : le général-major de l’USAF Ralph ROYCE, commandant la 1ère Tactical Air Force et le général Corniglion-Molinier [7], commandant des Forces Aériennes de l’Atlantique (FAA). Le premier a proposé le recours à des bombardiers venus d’Angleterre pour écraser les défenses allemandes en précisant que la facilité de la mission permettrait également d’entraîner les jeunes équipages américains. Quant au second, il a précisé que les populations civiles étaient en cours d’évacuation de la poche de Royan, ce qui sera d’ailleurs confirmé par de Larminat au cours d’une courte entrevue avec Royce le même jour.
Il est vrai que depuis son arrivée en Charente, de Larminat a négocié le départ des populations civiles des poches de La Rochelle et de Royan. Ces négociations ont connu un succès tout relatif et si un grand nombre d’habitants ont choisi l’évacuation, l’on ignore totalement combien sont restés…

Une chose est certaine, il a été indiqué à Royce qu’il n’y avait aucun inconvénient à bombarder les zones tenues par les Allemands. Donc, l’engagement des moyens lourds est parfaitement admis et compris par les uns, comme par les autres.

Les travaux de planification se poursuivent dans les différents états-majors (EM) en vue du déclenchement de l’attaque prévue pour le 10 janvier 1945.

2.2 Démontage de l’opération "Indépendance".

La bataille des Ardennes
La dernière grande offensive allemande sur le front Ouest. (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

C’est alors que débute l’opération "Herbsnebel". Le 14 décembre, commandés d’une main de fer par le Feldmarschall Walter Model, les Allemands contre-attaquent dans les Ardennes belges. Bousculé et surpris, le haut commandement allié décide des mesures drastiques : convergence vers le front attaqué de toutes les unités disponibles et repli de la 1ère armée française engagée trop en avant, en Alsace, sur la crête des Vosges.

L’abandon de Strasbourg provoque la colère du général de Gaulle qui menace de retirer la 1ère armée du commandement intégré. L’intervention du chef du gouvernement provisoire dans la conduite des opérations, domaine réservé du général Eisenhower, provoque une crise grave qui va durer du 31 décembre au 4 janvier 1945.

En tout état de cause, ces évènements ont des répercussions sur tout le front Ouest. La 1ère DFL à peine installée reçoit l’ordre de rejoindre d’urgence ses nouvelles positions au NE de la France. Elle quitte la Charente le 26 décembre et s’installe trois jours plus tard autour de Baccarat.

Cette grande unité étant le fer de lance de l’opération Indépendance, son départ provoque son annulation et, par voie de conséquences, celle de toutes les opérations d’appui afférentes, dont le bombardement de la zone de Royan.

Enfin, cela aurait dû se passer ainsi, car le 4 janvier après-midi, un message est expédié par le Bomber Command vers le SHAEF-Air pour annoncer que le bombardement de la zone de Royan aura lieu la nuit suivante...

Quelques heures plus tard, les bombardiers décollent, puis se rassemblent en vague pour aller accomplir la mission dont on connaît les résultats.

Vue partielle de Royan en janvier 45
Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

3. Comment une telle erreur opérationnelle a-t-elle pu se produire ?

31. Organisation du commandement.

La première question à se poser est de comprendre "qui fait quoi".
En octobre 44, l’offensive alliée atteint les contreforts des Vosges et la rive gauche de la Meuse, depuis Nancy jusqu’à son embouchure.

L’ensemble des forces représente près de 3 millions d’hommes répartis en trois groupes d’armées [8] placés sous le commandement du SHAEF, installé à Versailles.

Organisation du commandement.
Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Sur le terrain, les postes de commandement (PC) suivent l’avancée des troupes au sol et se déplacent globalement en direction du Nord Est.
Pour la zone qui nous intéresse (partie sud du front) l’implantation des PC est la suivante :

. 6ème groupe d’armée US (GA.US)  : Lyon, puis Vittel ;

. 1ère armée française  : Besançon puis Montbéliard.

Pour assurer la liaison entre les PC des unités au sol, les PC des flottes aériennes et le PC principal "Air" situé à Londres, chaque état-major dispose d’un détachement de personnel de l’armée de l’Air, plus ou moins volumineux selon son importance.

Sur le plan opérationnel, les FFO sont subordonnés au 6ème GA.US et sur le plan politique au GPRF du général de Gaulle.

Le PC des FFO, quant à lui, reste tout naturellement implanté à Cognac.
Une chose est certaine : l’attention que peut porter la 6ème GA.US aux opérations des FFO, dont la mission est d’assurer le blocus d’unités qui n’engagent le combat que pour se ravitailler [9], est bien moindre que celles menées par des subordonnés proches et engagés dans une bataille active contre un ennemi qui combat encore avec acharnement.

Il est par ailleurs facilement compréhensible que plus les communications intermédiaires sont nombreuses, plus les risques d’erreurs deviennent nombreux.

Ainsi, pour le traitement du message parti du Bomber Command le 4 janvier après-midi, on compte cinq opérateurs successifs, sans citer le traducteur en fin de transmissions, qui, on le verra n’a pas rempli sa mission.

3.2 De Larminat et les FFO.

Le général de Larminat.

Lorsque de Gaulle confie le commandement des FFO à Larminat, celui-ci sort d’une période de mise à l’écart provoqué par ses dissensions avec le général de Lattre de Tassigny.

Issu des troupes coloniales, gaulliste de la toute première heure, le général de Larminat est un brillant sujet, très à l’aise dans la dialectique, les débats intellectuels mais que la causticité et une haute idée de lui-même ont rendu peu populaire chez ses pairs, comme chez ses subordonnés.

Une telle personnalité ne pouvait que se heurter à celle du général de Lattre et l’occasion se présenta peu après le débarquement en Provence d’août 44. L’affrontement se conclut après une enquête du général Juin qui conseilla à de Gaulle de relever Larminat de son commandement. Cependant, de Gaulle ne pouvait déjuger l’un de ses premiers compagnons de la France Libre (venu du Levant, le colonel de Larminat était passé en Egypte dès juillet 40). En tout cas, il ne pouvait laisser Larminat sans emploi : les forces échelonnées le long de l’Atlantique nécessitaient à être organisées, articulées et commandées. Larminat pouvait faire l’affaire. Lui-même a dû bien le comprendre. Dans ses "chroniques irrévérencieuses" il donne beaucoup de place à son séjour à Bagnolet et aux attentions de M. Filleul, majordome de la famille Hennessy…

Soldats des FFO.
Un équipement hétéroclite : on remarque le casque attaché par une ficelle et d’un type différent de celui du voisin...

On vit donc un officier général, premier parmi les FFL, envoyé commander un front, à vrai dire secondaire, des troupes peu entraînées, mal équipées, mal armées, commandées par des cadres sans grande expérience et plus ou moins motivés. Après l’enthousiasme des premiers jours et la perspective d’une victoire rapide avec l’arrivée de la 1ère DFL, son départ précipité et l’annulation de facto d’Indépendance a jeté un voile de pessimisme et d’inanité sur l’ensemble des personnels, du soldat au général.

Très introspectif, voire introverti, il est fort possible que Larminat se soit désintéressé de la grande opération que les circonstances retiraient à sa gloire.

En tout état de cause, le SHAEF confirme le 22 décembre l’ajournement sine die d’Indépendance. Une nouvelle date sera fixée quand la situation dans les Ardennes se sera éclaircie. Indépendance n’intéresse plus personne, sauf les aviateurs anglais qui avaient, eux aussi, monté une belle opération qu’ils ont continué à planifier "dans leur coin", sans se soucier de savoir si elle était encore opportune.

3.3 Les conditions du bombardement.

Engageant des moyens totalement extérieurs au combat aéroterrestre mené contre la menace allemande lancée depuis la mi-décembre, le projet de bombarder Royan n’a plus de raison d’être sur le plan opérationnel immédiat, mais garde encore un rôle dans la mise au niveau des équipages du Bomber Command.

Le général ROYCE en avait fait un argument complémentaire dans sa proposition du 10 décembre. A présent qu’Indépendance est ajourné, l’argument peut prendre plus d’intérêt dans le simple cadre de l’entraînement de jeunes équipages.

Mais curieusement cet argument concernait les équipages américains de la 8ème Air Force, alors que le bombardement va être exécuté par des avions anglais servis par des équipages anglais. En outre, le Bomber Command semble tenir à l’exécution d’une opération planifiée, puisqu’il la réalise dans la nuit du 4 au 5 janvier, alors que le jour "J" d’Indépendance etait initialement fixé au 10 janvier.

Le cheminement du message du Bomber Command avertissant le 6ème GA.US et la 1ère TAF de l’opération a été reconstitué par les historiens. L’enquête qui a suivi le drame a bien souligné que les appels téléphoniques et les messages envoyés de Vittel au PC de Cognac n’ont trouvé aucun interlocuteur, ni signal de réception. Le centre de transmission de la 1ère TAF détaché à Cognac auprès des FAA a eu besoin de 3 heures pour déchiffrer un message composé d’un texte de 24 mots ou groupes de chiffres (références et date du message, références du point de visée).

Cela paraît beaucoup…

Le cheminement des messages.
Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Compte tenu de ce qui a été reconstitué, les messages ou appels téléphoniques envoyés aux deux états-majors de Cognac (FFO et FAA) sont arrivés après 18h00. On peut supposer qu’en cette période hivernale, où il fait nuit à 17h30, les bureaux étaient vides et qu’au pire un officier de permanence est resté en poste. Cependant, l’enquête n’a jamais précisé qui était de service ce soir-là.

De même, le cheminement technique du message d’alerte s’achève chez le chiffreur du centre de transmissions américain et prend du retard par manque de traducteur. On peut objecter que les Américains auraient pu mettre en place du personnel bilingue, mais de toute façon, les bureaux de l’EM des FFO, comme celui de l’EM des FAA ne reprenaient le travail qu’à 8h00, le lendemain. L’affaire s’est donc déroulée sans que Larminat et Corniglion-Molinier en aient été informés, alors que Devers et Royce en étaient avertis et avaient voulu alerter les FFO.

Conclusion

En résumé et pour conclure, il faut revenir au vieil adage militaire "un ordre mal exécuté est un ordre mal donné", ce qui signifie qu’il appartient au commandement d’assumer ses responsabilités, cela fait partie du contrat.

Dans le cas présent, à l’évidence, le Bomber Command anglais, le 6ème GA.US et l’ensemble de ses subordonnés impliqués dans l’affaire (dont l’état-major des FFO et celui des FAA) portent une part de responsabilité plus ou moins importante.

De Larminat et Corniglion-Molinier ont laissé entendre à Royce que Royan serait évacué pour le 15 décembre.

Royce est rentré à Vittel en ayant l’idée que là où tomberaient les bombes, elles ne feraient du tort qu’aux Allemands, par conséquence une précision relative sur les objectifs était suffisante.

Quand "Indépendance" a été ajournée, ni Devers et ni de Larminat (qui était quand même le premier concerné…) ne se sont souciés de bien vérifier l’annulation de toute ce qui tournait autour de l’opération (donc du bombardement).

Le Bomber Command n’a pas avisé le SHAEF-Air, donc encore moins la 1ère TAF, qu’il maintenait le projet et n’a surtout donné qu’un préavis tardif de son déclenchement [10].

Enfin, à l’évidence, les consignes de veille et de présence dans les états-majors des FFO et des FAA n’étaient pas définies, ou alors pas observées et bien sûr pas contrôlées.

Sans évoquer les rumeurs sur les activités nocturnes de certains personnels.

Il y eut lors des enquêtes entreprises par les différents états-majors, un soin particulier à diluer les responsabilités, à ne pas pousser trop loin la recherche de la vérité, tant il était difficile de mettre en cause la partie française dans les circonstances du moment : cet élément est fondamental pour la compréhension des choses...

Finalement on sait que le major-général Royce fut renvoyé aux Etats-Unis [11], alors qu’il n’avait aucune prise sur le Bomber Command et qu’il avait vainement cherché à joindre le PC des FFO.

Pour terminer, si l’on veut résumer l’impression que laisse cet épisode peu glorieux de la libération de la France, on peut dire qu’au lieu de s’appeler opération "Indépendance" cette opération aurait pu s’appeler opération "Négligence", car tout a été traité à la légère, sans la rigueur qu’imposait l’objectif et les moyens mis en œuvre pour le traiter.

*

Autre vue partielle de Royan en janvier 45.
Cliquer sur l’image pour l’agrandir.

Notes

[1Comme tous les aéronefs, le Lancaster avait une capacité d’emport différente selon la distance à parcourir. La sienne était de 5,5 T à 3700 km et de 14 T à 1600 km. Royan étant à prés de 2000 km (aller et retour) de la zone de regroupement des bombardiers, l’on peut raisonnablement estimer que les deux vagues avaient un potentiel de bombardement largement supérieur à 2 000 tonnes.

[2Avec l’expérience acquise lors des bombardements stratégiques effectués sur les grandes villes allemandes, les avions "Pathfinder" (littéralement : éclaireur), étaient chargés d’identifier les cibles, de les signaler en les marquant par un largage d’artifices de différentes couleurs. Pour plus de précisions sur les méthodes utilisées par les Pathfinder consulter cet excellent site : http://myzone59.free.fr/index.php/histoire/ww2/pathfinder-force.html.

[3Le décompte du nombre de victimes a longtemps été l’objet de polémiques invraisemblables et aujourd’hui encore certains n’hésitent pas à avancer des chiffres totalement fantaisistes.

[4L’amiral Michahelles sera capturé le 17 avril 1945. Le lendemain, une dernière vague de bombardements emportera la reddition des bunkers de la forêt de la Coubre.

[5FLAK, acronyme de Fliegerabwehrkanone (littéralement : canon anti-aérien).

[6La 1ère DFL est une grande unité légère (à dominante d’infanterie) organisée selon le modèle américain. A la fin de l’année 1944, elle compte environ 15800 hommes, répartis en 3 régiments d’infanterie (à 3 bataillons chacun), un régiment d’artillerie, un bataillon de reconnaissance, un peloton d’aviation légère, ainsi que dans tous les éléments permettant à une grande unité de mener un combat en totale autonomie (Génie, transmissions, logistique, etc.).

[7Passionné d’aviation, pilote confirmé, propriétaire de studios et producteur de cinéma, Edouard Corniglion-Molinier est par ailleurs un authentique patriote qui n’hésite pas à prendre part à la lutte (il était aux côtés de Malraux pendant la guerre d’Espagne en 36…). Après la campagne de France, il s’engage activement dans la Résistance et participe enfin aux combats des forces françaises libres en Afrique du nord mais aussi sur le front de l’Ouest. Il est promu général de brigade aérienne en novembre 44. C’est donc un passionné et un gaulliste de la première heure, plutôt qu’un véritable professionnel, qui assure commandement des FAA.

[8Composition du front Ouest : groupe d’armée Nord aux ordres du maréchal Montgomery (1ère armée canadienne et 2ème armée britannique) ; groupe d’armée centre, le plus puissant, aux ordres du général Bradley (9ème , 1ère et 3ème armée US) ; groupe d’armée Sud aux ordres du général Devers (6ème armée US et 1ère armée française).

[9Les unités allemandes dans les poches font périodiquement des sorties pour se ravitailler. Ce sont de véritables razzias sur une ou plusieurs fermes, destinées à récupérer tout ce qui peut nourrir (bétails, volailles, céréales, etc.).

[10Faire le plein de carburant et charger de bombes quelques 350 bombardiers, expliquer la mission et répartir les rôles au sein des équipages ne se règlent pas en quelques heures…

[11Limogé le 29 janvier par Eisenhower qui ne voulait pas d’ennuis avec le gouvernement français, le major-général Royce est muté aux Etats-Unis à un important poste administratif. Considéré par les autorités militaires françaises comme le responsable de ce bombardement, il est cependant fait Commandeur de la Légion d’Honneur par le gouvernement du général de Gaulle le 26 mai suivant. Cela en dit long sur les responsabilités véritables qui sont les siennes.





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